D’aussi loin que viennent les images de mon enfance, je me vois... Du haut de mes six ans, installée sur le banc d'écolier en bois. Les doigts figés, je m'appliquais à former les lettres de l'alphabet. Il se passait des heures, dans l'incompréhension, à regarder cet avant-bras douloureux qui ne semblait pas appartenir à mon corps. L'institutrice interdisait l'utilisation de la main gauche. Aveuglée par son exigence, elle ne distinguait pas les blessures que j'endurais dans le silence. Trop jeune pour manifester ma détresse, je ne pouvais que me soumettre.
La main droite s’adaptant avec le temps, le désir d’écrire se révéla vers mes onze ans, lors de la séparation de mes parents. Cette décision pour échapper aux colères de mon père correspond bien à la période où ma mère m’offrit mon premier journal intime. Je pouvais déposer les maux qui animaient ma plume. Cet exutoire profitait essentiellement à mon adolescence. Rarement satisfaite, j’arrachais les pages pour refleurir de ma plus belle écriture. Je ne tolérais aucune rature. En vérité, je me sentais comme envoûtée par la flamme procurée; par cette main embrasée se baladant sur le papier.
La danse contemporaine se présenta dans ma vie au moment opportun, pour virevolter tout au long de mes études. Je me nourrissais de tout ce qui touchait à l’art, avec une affinité singulière pour l'univers des mystères. La peinture et la sculpture s'imposant dans ma vie professionnelle, l'écriture a pris reflet vers la fin d'un été indien. Je me sentais perdue comme je pouvais l’être lors du passage laborieux entre l'ingénuité et la maturité. Une remise en question sentimentale me mettait face à moi-même. L’isolement nécessaire m'a ouvert une porte que je pensais inaccessible. En voyageant dans mes souvenirs, j'ai confié les mots au gré de mes deux mains s’activant sur le clavier.
Prenant conscience de la contrariété notable imposée dans mon enfance, j'ai déterré les racines de l'interdit. Avec une sensation de liberté, j'ai pris plaisir à l'expérience. Assez rapidement, l’aptitude à écrire de la main gauche triompha. Avec l'aisance de l'ambidextre, plus rien ne pouvait m'arrêter. Une autobiographie romancée intitulée « (R)évolution d’une rêveuse » vit le jour en 2018.
En continuant sur cette lancée, je peaufine mon second roman « Face à l'îlot rocheux ».
Isabelle Nell